Ils s’appellent Alioum, Abakar, Nouraddine, etc. ils sont 12 à plein temps à sillonner en moto le Complexe d’Aires Protégées de Binder-Léré au Tchad, jusqu’à son cœur vert, le Parc National de Zah Soo, créé en 2022.
Ils sont agents communautaires, et ont pour mission de sensibiliser la population locale dans les 4 cantons aux enjeux de conservation du Complexe et du Parc National.
La législation concernant le parc est très protectrice, en vue d’en restaurer sa biodiversité fortement dégradée par l’activité anthropique, avec en son sein les Chutes Zah Soo, une zone fonctionnelle importante pour le maintien des ressources halieutiques ensuite pêchées en aval, comme à Léré et Tréné. Les agents communautaires ont pour mission d’informer les populations riveraines qu’aucune exploitation des ressources naturelles n’est possible dans ce dernier rempart pour la faune et la flore sauvages. En revanche, dans le Complexe autour du parc, des activités économiques modérées sont possibles, comme l’élevage et l’agriculture. Ces agents ont aussi pour rôle d’échanger avec les communautés pour identifier des activités compensatrices répondant à leurs besoins, les impliquant ainsi dans la gestion du parc.
POURQUOI PROTÉGER UN CŒUR VERT DE BIODIVERSITÉ
La zone centrale du Complexe, le Parc National de Zah Soo, traversée par ses cours d’eau, des chutes, et ses collines escarpées, a été choisie pour être au cœur d’un dispositif de protection fort vis-à-vis d’activités agricoles et d’élevage.
Les bénéfices d’un parc restauré à moyen terme sont nombreux, et ce non seulement directement pour la faune et flore locales, mais indirectement pour ses habitants. Les services écosystémiques rendus sont tangibles : la qualité de l’air, de l’eau, la protection face à l’érosion, à la sécheresse, la mitigation face au changement climatique, etc. Plus spécifiquement dans cette zone, on constate un regain graduel de la végétation, qui influe sur le cycle des pluies, héberge les pollinisateurs, garantit un habitat pour la faune, fournit à nouveau des herbes médicinales locales, etc. Ce cœur vert de biodiversité peut ainsi faire bénéficier de sa richesse tout le complexe alentours, qui gagne de fait en pâturages variés, hydrométrie, faune, etc.
…ET SES HABITANTS
Des pasteurs transhumants, en grande partie des peulhs fulbés, Oudahs, Mbororo, généralement en provenance du Cameroun, du Niger, du Nigéria et de Centrafrique, sont de passage dans cette zone selon les saisons, et y construisent des campements temporaires.
En revanche, des éleveurs et les agro-éleveurs résident également dans la région de façon permanente, et y ont parfois des champs dont ils s’occupent avec leur famille, labourés par leur bétail de trait. S’y trouvent aussi des agriculteurs en mal de nouveaux espaces à cultiver, et des personnes qui ramassent le bois, des espèces végétales, ou qui chassent.
L’activité économique principale reste toutefois l’élevage de bœufs, raison pour laquelle les agents travaillent activement à réduire son impact.
Ci-dessus : un bœuf à l’intérieur du Parc National de Zah Soo
NOUS EN DISCUTONS AVEC LES MEMBRES DU DÉPARTEMENT DE DÉVELOPPEMENT COMMUNAUTAIRE
« Les locaux rencontrés dans l’aire protégée sont souvent d’ethnie fulbé-Binder, Haoussa, Moundang, fulbé, Toupouri, Bainawa. Par conséquent, les agents communautaires sont recrutés également en fonction de leurs compétences linguistiques, pour faciliter le contact » nous explique Félix Louassouabe, responsable de ce département. « Les facilitateurs abordent avec ce public des sujets comme la création du parc, les outils de gouvernance, les problèmes qu’ils rencontrent, les enjeux environnementaux les concernant, etc. ».
Quelles sont les caractéristiques d’un bon agent communautaire ?
« Pour moi un agent doit être issu des communautés locales, et bien connaître leurs traditions. Les locaux doivent pouvoir s’identifier à lui, le voir comme un pair. Une fois recruté, nous le/la formons aux techniques de sensibilisation, à l’utilisation de GPS, à la collecte de données sur le terrain en lien avec la pratique de l’élevage, aux constats de conflits humain-faune, etc.
Outre la sensibilisation au respect des contraintes, quel appui offrent les agents communautaires aux populations locales ?
« Les appuis sont nombreux : constat de champs dévastés par la faune sauvage, recherche de bétail égaré ou de personnes perdues dans le parc, relais d’informations liées à des vols d’animaux jusque dans la salle de contrôle du parc, etc. ».
Comment les agents communautaires sont-ils perçus par les habitants locaux dans et autour du Complexe ?
« Ils sont souvent très appréciés, car leur approche est faite d’écoute avant tout. Ils offrent une oreille attentive aux communautés. Ils prennent le temps de boire le thé avec elles lorsqu’ils les rencontrent, et se placent volontiers en médiateurs lors de frictions, par exemple entre éleveurs sédentaires et transhumants ».
Ci-dessus : Félix Louassouabe, Résponsable du Département de développement communautaire
« La majorité des bergers avec qui je parle comprend très bien l’importance du parc ! » rajoute Abakar, agent communautaire depuis plus de 6 mois. « Ils veulent que le parc existe, et pensent que s’il n’existait pas, la zone serait recouverte de champs et villages, sans plus aucun pâturage pour leur bétail ».
« Certains bergers se plaignent de ne plus avoir autant accès qu’avant à la réserve à cause du parc » rajoute Alioum, un autre agent communautaire « mais ils sont peu nombreux, d’autres me disent au contraire qu’ils commencent à revoir des animaux qu’ils n’avaient pas rencontrés depuis bien longtemps : koba, hyènes, etc. Ils disent aussi retrouver des plantes sauvages médicinales, qui avaient disparu depuis longtemps ».
Nourradine, agent communautaire depuis 3 mois renchérit avec un sourire : « Certains transhumants pensent que l’herbe vient de Dieu et repoussera toujours, alors que nombreux sont ceux qui comprennent très bien le lien entre la présence de végétation et la survenue des pluies ».
Globalement, quels sont les défis que rencontrent les agents communautaires ?
« Ils sont de nature variée » reprend Félix. « Par exemple, certaines pistes dans le parc sont impraticables par temps de pluie. Les agents de lutte anti-braconnage, chargés de faire le suivi après que les agents communautaires aient constaté d’éventuelles infractions, peuvent avoir du mal à se rendre sur les lieux.
Sporadiquement certains éleveurs ou agriculteurs vont avoir des réactions hostiles face aux agents. D’autres envoient leur bétail dans le parc en se cachant parfois dans les arbres ! Mais cela reste très rare ».
Sensibilisation de bouviers de Binder
Quelles solutions sont en cours d’élaboration pour trouver une harmonie entre les pratiques d’élevage, et leur compatibilité avec un écosystème à l’équilibre ?
« Une étude de pastoralisme récente a conduit à l’identification de zones dites de « déconcentration », qui pourraient offrir des pâturages alternatifs au parc. Elles feront l’objet de choix et de validation de concert avec les acteurs avant que les aménagements se fassent, bien sûr ».
Est-ce que les cas de récidive d’intrusion dans la zone cœur du parc sont fréquents ?
« Ils sont rares. Généralement les personnes quittent les lieux après l’échange avec les facilitateurs. Dans le cas contraire, après un temps de tolérance, ses coordonnées sont envoyées au département de lutte anti-braconnage, qui se charge de la suite à donner avec les autorités nationales ».
Quels sont les objectifs visés sur le long terme pour le Complexe et le Parc National ?
« Nous visons une gestion dans et en périphérie du Complexe, inclusive, qui prenne donc en compte les activités économiques des communautés locales comme l’élevage. Par ailleurs, nous souhaitons que la pression du bétail dans le parc diminue considérablement grâce à la sensibilisation, l’accompagnement des acteurs par l’aménagement de zones de déconcentration, etc.
C’est un équilibre que nous pensons nécessaire pour tous, et réalisable dans le moyen terme ».
Abakar, agent communautaire du parc