Comment assurer le suivi d’une aire protégée, par définition vaste, aux multiples défis (braconnage, déforestation, exploitation illégale de ressources naturelles, etc.), sans un réseau étendu de routes, et, qui plus est, sans réseau internet ?
C’est la mission de la salle des opérations du Complexe d’Aires Protégées de Binder-Léré (CAPBL) au Tchad, qui suit sur un grand écran les mouvements des éléphants équipés de colliers GPS, les caméras pièges, les véhicules et les agents, également dotés de dispositifs de géolocalisation.
Le logiciel employé se nomme EarthRanger, qui permet de géolocaliser ces dispositifs en temps réel, d’enregistrer ces informations sur une base de données en ligne, de les analyser, et d’en tirer des prévisions et des stratégies. Il est un outil essentiel pour le suivi des différents déplacements (mesure de distance des points, localisation), pour dialoguer avec les équipes, et pour la mise à jour régulière des rapports (contrôle, observation de la faune, conflit humain/faune, sensibilisation, etc.).
Ci-dessus : L’aire protégée est surveillée 24h/24 dans la salle des opérations à l’aide des données transmises à Earthranger.
Les opérateurs, avec cette vue d’ensemble en temps réel, peuvent ainsi analyser, puis prendre des décisions éclairées, (par ex. l’envoi d’agents communautaires vers des campements ou des terrains occupés, ou des actions prenant en compte la saisonnalité des déplacements des éléphants). Depuis cet été, le logiciel est disponible également sur téléphone portable, et est une aide particulièrement utile aux agents en patrouille.
« La possibilité de renseigner des données hors ligne dans des zones lointaines, et de les synchroniser une fois de retour en ligne dans notre quartier général, rend Earthranger extrêmement efficace pour protéger à la fois le personnel et la réserve » explique Yvonne Ignageanki, nouvellement promue responsable de la salle des opérations du Complexe d’Aires Protégées de Binder-Léré.
Cette jeune tchadienne passionnée de nature est originaire de Léré, dans le Mayo-Kebbi Ouest, et a voulu terminer ses études universitaires en rédigeant un mémoire portant justement sur le CAPBL.
Ci-dessus : L’heure du compte-rendu quotidien à 18h devant la direction du parc
Auriez-vous un exemple concret de l’utilité de ce logiciel ?
Il a permis de nombreuses fois aux agents d’éviter de se heurter imprudemment à un troupeau d’éléphants la nuit ou lors de pluies torrentielles.
Combien d’opérateurs travaillent dans ce service, et quel rythme observez-vous ?
Il y a 8 opérateurs depuis le 15 juillet 2023. C’est le cœur battant du Complexe, avec un service permanent, même la nuit. La garde est assurée par deux agents à la fois, par tranches de 24 heures.
Ci-dessus : Un chef de patrouille dans l’aire protégée avec un dispositif GPS le reliant à la salle de contrôle
Pourriez-vous décrire le quotidien de la salle des opérations ?
Les tâches journalières et hebdomadaires consistent à suivre constamment les équipes de sécurisation de la faune, afin de les positionner à proximité des éléphants à surveiller, par exemple. Nous aidons aussi au guidage des patrouilles de surveillance du parc ainsi qu’aux missions orientées (sensibilisation, interpellation, récupération, et escorte d’agents). La salle vérifie et oriente également tout autre déplacement dans le Complexe, et sa périphérie. Nous faisons un point journalier, et un compte-rendu hebdomadaire au commandement et à la direction.
Comment votre entourage réagit au fait que vous êtes l’une des rares femmes (pour le moment!) à exercer ce métier, et quelles sont vos ambitions à l’avenir ?
Une bonne partie de mon entourage voit d’un bon œil que je sois une investie dans mon travail, tout simplement. Cela dit, ils n’ont généralement pas une idée claire des tâches que j’exécute ! Le travail en équipe se passe bien, nous avons une bonne relation professionnelle qui va au-delà du fait que je sois la seule femme de la salle.
À l’avenir, comme je souhaite continuer à travailler dans des parcs comme ici à Zah Soo, j’aimerais reprendre des études plus approfondies et spécialisées dans les aires protégées.
Ci-dessus : Yvonne Ignageanki, Responsable de la salle des opérations, avec son équipe