Dans un grand espace extérieur, entre les maisons en terre battue construites en plein cœur d’un des villages du Parc National de Conkouati-Douli au Congo, quelques dizaines d’hommes, de femmes et d’enfants forment un cercle. Au centre, ils ont disposé à même le sol deux grands tissus bleu, sur lesquels ils déplacent des petits morceaux de bois rectangulaires formant des ensembles, représentant divers lieux (forêt, champ, etc.). Ils se courbent à tour de rôle et pointent du doigt « la rivière », « la forêt encore vierge », etc. Il s’agit d’un atelier villageois de cartographie participative.
Depuis le mois de juin, Noé a lancé une vaste campagne de cartographie participative dans chacun des 31 villages du parc, qui prendra fin en juin 2024. Les cartes sont produites au fur et à mesure par le cartographe de l’équipe de Noé sur le terrain. À ce jour, les sept premières cartes sont déjà en phase terminale de production.
En quoi consiste la cartographie participative ?
La cartographie participative est la représentation de données sur un support réduit qui représente un espace réel (terroir villageois), avec comme objectif la simplification de sa perception, pour une meilleure compréhension des zones d’usage, et des enjeux propres au village.
Ci-dessous : la cartographie participative propose des outils simples et manipulables de définition des zones d’usage
Les communautés se réunissent et identifient ensemble divers lieux qu’ils fréquentent : les rivières, zones de pêche, de chasse, de ramassage de produits forestiers non ligneux, les champs, les contours de leur village, les lieux sacrés, etc. Une fois les informations validées par tous les habitants, l’équipe du parc se rend sur le terrain, muni de systèmes de localisation par satellite (GPS) pour géo-référencer les points importants. Des cartes provisoires sont alors créées, puis soumises à la validation des populations, avant que les versions définitives ne soient établies.
Le but de cette méthodologie
La création des cartes est traditionnellement le rôle d’experts, d’ingénieurs ou d’autres spécialistes, imposant une vision du territoire et un vocabulaire, conceptuel et graphique, suivant une relation verticale du sommet vers la base.
La cartographie participative, qui a émergé à la fin des années 1980, apparaît à l’inverse, de la base vers le sommet. Elle propose de renouveler le contenu des cartes en se montrant sensible aux nuances des situations locales, et en renversant le rapport habituel de savoir et de pouvoir sur le territoire.
Facile à mettre en œuvre, peu coûteuse, stimulante pour débattre, cette méthodologie vise à établir un échange entre les agents du parc dans ce cas précis, et les populations locales, afin de faire émerger leur propre savoir sur le territoire, et leurs usages. L’action de l’aire protégée peut ainsi tenir compte des objectifs exprimés par les communautés interrogées.
Ci-dessous : Séance de cartographie dans un des villages du parc
Entendre la voix des communautés du parc
En d’autres termes, la cartographie participative permet aux communautés de mieux faire entendre leur voix, avec un bénéfice réciproque :
- D’une part, l’équipe du parc, acquérant une connaissance fine des zones d’usage de ses habitants, peut les intégrer dans la gestion durable de l’aire protégée.
- D’autre part, les communautés prennent conscience des enjeux et de la raison d’être de la conservation du parc.
ON EN PARLE AVEC MODESTE MAKANI, RESPONSABLE DU DÉVELOPPEMENT COMMUNAUTAIRE DANS LE PARC
Ci-dessus : l’une des premières cartes participatives, en phase terminale de conception
Combien de villages dans le parc ont déjà participé à ces ateliers ?
Jusqu’à présent 13 villages (dont 8 dans le district de Nzambi et 5 dans le district de Mandingo Kayes) sont déjà engagés dans le processus de cartographie participative. Il reste encore 18 villages à impliquer, pour un total de 31 villages interrogés au final.
Une fois lesdites cartes produites, comment seront-elles consultables par les habitants ?
Après la production des cartes définitives, un exemplaire sera remis au chef du village qui le gardera comme support à la disposition de la communauté, et l’utilisera en cas de besoin.
Est-ce que les femmes y participent aussi à ces ateliers de cartographie participative?
Oui, bien sûr. Un « focus groupe femmes » est mis en place pour identifier les lieux où les femmes mènent leurs activités. À ce jour, 366 personnes y ont participé, dont 131 femmes, soit un taux de 35%.
Comment la technologie est-elle utilisée pour faciliter la collecte et le partage d’informations ?
Nous utilisons le GPS pour la prise des coordonnées géographiques des sites à cartographier. En interne, nous sommes en train de mettre en place une base de données sur serveur partagé, qui pourrait être utilisée par le personnel du parc si besoin.
Quels défis spécifiques surviennent parfois ?
Nos équipes ne rencontrent pas généralement de difficulté. En faisant preuve de pédagogie, les communautés comprennent qu’il ne s’agit pas de mettre en péril, mais au contraire de sécuriser leurs zones d’usage. Une fois ainsi rassurées, elle se montrent très volontaires.
Comment la cartographie participative contribue-t-elle au développement durable et à l’amélioration des conditions de vie des communautés au sein de l’aire protégée ?
Lors du processus de cartographie, une enquête est menée dans le détail sur l’utilisation de l’aire protégée qu’en font les habitants. Ces données vont permettre de planifier sa gestion durable, soit par l’amélioration du zonage, soit par la mise en place de protocoles de gestion soutenable des ressources naturelles.